Billet d’humeur
On a peur.
J’ai peur.
Tu as peur.
On a peur.
Peur de mourir.
Peur de manquer.
Quand la peur à ce point nous gagne, on aspire furieusement à une ultra hyper sécurité
–il semble, non ?
on aspire à l’éternité
à l’éternelle jeunesse
à l’éternelle santé
à l’éternelle invincibilité.
à un salaire régulier à vie
à la beauté inconditionnelle
aux dents sans carie ni désordre
aux articulations gaillardes et sans casse
Les virus, les plaies et les pestes
en ce monde supra consumériste
qui sacralise le jeunisme
à renforts de fesses hautes, poitrine et pectoraux implantés à volo
—les virus, les plaies et les pestes
qui fragilisent, menacent nos croyances en l’invulnérabilité, l’increvabilité, l’immortalité,
ça fout un sacré désordre dans nos vies, ces temps-ci
–il semble, non ?
J’ai peur.
Tu as peur.
On a peur.
Peur de mourir.
Peur de souffrir.
Peur de manquer.
J’ai presque toutes ces peurs plus une.
J’ai peur que la peur nous conduise à adhérer à des solutions promptes à désigner un roi à décapiter ou quelques amis juifs ou autres à éradiquer
– relent.
Quand l’émotion prend le pas sur la raison
j’ai peur
Quand les politiques en mal d’élection haranguent les foules à renfort de « toi t’es bon, l’autre c’est un con »
j’ai peur.
Peur de l’occupation.
Peur de toutes les occupations.
Alors la peur
Et le désastre et le tourment
Et les idéologues qui attisent les tensions
– toujours
La haine à bout de bras.
La division en étendard.
La manipulation des foules via la peur et la frustration.
– levier
Alors ?
Pas de réponse
Pas de solution collectiviste la même valable pour toutes et tous.
Pas de vaccin anti souffrance.
Pas de vaccin anti maladie. Anti vieillissement. Anti jour et nuit, anti pauvre et riche, anti mal à l’âme.
Alors ?
Se risquer à la vie.
Toujours.
Bousculer nos habitus.
Nouer des équipages d’amitié
Créer des oasis aussi divers et joyeux que nos diversités.
Rejoindre des oasis qui abritent le vivant.
Ephémères un jour à la fois,
Éternels un jour à la fois.
Alors le masque
La buée sur les lunettes
Le gel et le savon
– tu parles d’un drame
Se parler à distance
Ne pas pouvoir se biser à corps et à cris
– tu parles d’un drame
Alors la peur
Et le désastre et le tourment
Et les idéologues qui attisent les tensions
– toujours
La haine à bout de bras.
La division en étendard.
La manipulation des foules via la peur et la frustration.
– tu parles d’une réponse
Alors
avec masque gel savon vaccin
te savoir là
te croiser aux heures ouvertes
se parler
bonjour
te savoir là
Sortir de la peur
Ne pas s’inventer de bouc émissaire.
Inventer d’autres printemps.
Cette peste passera.
Ne pas laisser nos peurs tuer le printemps.
–Se parler.
Texte Anne Lefèvre (écriture en cours)
Photo Annette Jeannot
Anne Lefèvre auteure (textes performatifs), performeuse, directrice d’acteurs, directrice théâtre Le Vent des Signes pratique le questionnement du monde dans des langues d’aujourd’hui, en complicité avec des artistes conscients du désastre mais non moins soucieux de pointer des pistes de bifurcations vitales – de quoi renouer avec le désir.
Sa démarche artistique est avant tout un process où le cœur du poème se donne à voir et entendre dans des écritures de plateau ancrées dans des exigences performatives et pluridisciplinaires portées par des acteurs, artistes, écrivains, musiciens, danseurs, vidéastes… tous entiers engagés dans la convocation du vivant.
Le texte en est un élément constitutif indéniable mais pas le seul.
Le mouvement, la danse, la vidéo, le son, la musique, l’instant, la surprise incarnée et palpitante, le soin que l’acte apporte en sont tout autant essentiels.
Il s’agit de construire avec. Dans un rapport sensible à soi et à l’autre. Dans un rapport attentif et lucide au manifeste et à l’invisible. Dans la convocation d’un libre arbitre individuel consubstantiel de ce qu’est le vivant.