Brûlé
Chère Anne,
J’écris cette note d’intention suite à l’entretien téléphonique que nous avons eu ces jours. Je t’ai dit non sans culot « j’ai besoin d’aide c’est pour cela que j’aimerais venir en résidence dans l’espace Le Vent des Signes, partager avec toi des questionnements sur mon projet d’écriture, bénéficier de ton regard exigeant et bienveillant ».
Je rêve d’un lieu où expérimenter, avancer sans céder à la facilité, ne rien lâcher. Je rêve de m’épuiser à l’écriture, d’y voir flou, d’y voir noir, je rêve de dépasser ce que je crois être ma langue, je rêve de sortir de mes zones de confort. En rêver la nuit et réinventer au matin les introuvés de la veille.
Le Vent des Signes est comme une grotte où résonnent profondément les traces des artistes qui y ont séjourné. Traces-peintures rupestres, traces-perceptions sensibles. Souffle de ceux qui nous ont précédés, souffle de ceux qui sont là, les autres. L’écriture comme une main tendue. Une main négative imprimée sur des briques en terre rouge, témoignage de l’histoire et du temps. C’est toi qui façonnas cette brique-là, c’est moi maintenant qui écrit dessus. Il faut beaucoup d’amour pour écrire. Sans doute au moins de la taille de celui raconté dans Einstein on the beach de Philip Glass et Bob Wilson. Le grandiose et le minuscule de l’amour indéchiffrable, inracontable.
Je rêve de chant, de polyphonie et de chœur. Je veux écrire du chant, de la polyphonie et du chœur, une écriture jusqu’à l’os. Comment parler de celles et ceux qui ne sont plus là ? Comment parler de celles et ceux qui sont là ? Comment raconter les autres ? A quel point raconter de soi pour raconter de l’autre ?
Je veux reprendre ce texte où une ancienne strip-teaseuse nous partage son histoire (joies et drames) au fur et à mesure qu’elle retraverse les lieux où elle a vécu et dansé.
Je souhaite parallèlement écrire sur mon oncle disparu prématurément dans un accident d’avion. Je pressens une rencontre possible entre la strip-teaseuse et l’aviateur, entre leurs vies rocambolesques.
Je veux aboutir un livre qui intègre mes peintures à mon texte écrit en résidence. Dans une recherche d’illustration non illustrative. J’ai dessiné et peint de nombreux visages. D’où sortent-ils ? Parfois, j’imagine que ce sont eux qui me peignent mieux que je ne les peins. Si je ferme les yeux et laisse glisser ma main sur le papier, voilà qu’ils surgissent paupières lasses et douloureuses. « Tu as dû en vivre des choses difficiles pour peindre ces visages-là ? ». Je n’ai pas répondu, simplement enfin admis une vérité que j’ignorais ou feignais de cacher. Les visages m’avaient dénoncée.
Chère Anne, j’ai besoin d’écrire dans un lieu-cellule, coupé des bruits de la ville. Encore cette image de grotte qui réapparait, tu vois.
Manon Gineste, auteure
Manon Gineste