Cent monologues en même temps
« Cent monologues en même temps » pourrait être le projet de Cent pièces manquées, dont s’est échappé seulement un monologue, que j’ai attrapé au vol. Je voudrais entendre une fois cent personnes parler. Avec pour lien peut-être simplement cette grande chose, monstrueuse et banale, de parler, de devant des gens parler. J’aimerais aussi que de ces tirades, ces soliloques, se dégage finalement une impression de foule, de tumulte. Comme mille chuchotis font un vacarme. Et sans « m’embarrasser » du théâtre, ne garder qu’une fois la bouche ouverte d’un personnage. Venu là, au seuil de la scène, parler et partir. Dans ces cent monologues se croisent des enfants, des amoureux, des vieillards, des parents, comme une Dramatis personæ éclatée. Je voudrais aussi, à force de fragments (qui est une forme que j’affectionne tout particulièrement, qui frustre et évite, qui veut tout dire mais qui veut aussi finir) reconstituer une comédie humaine, à cheval de siècle, toute nouée à ses sentiments, toute rivée à son quotidien, mais aussi parfois vertigineusement rendue à plus grand qu’elle : le monde, ailleurs, la mort, le temps.
Ce texte, qui emprunte à une tradition théâtrale du monologue (par exemple, ceux de Noelle Renaude dans « à tous ceux qui », de Roland Dubillard dans « Les nouveaux Diablogues », ou les très intenses monologues de « Je tremble » de Joel Pommerat) pourrait être édité aux éditions théâtrales où sont déjà éditées deux de mes pièces et où une troisième, une réécriture de Hamlet, va bientôt l’être, courant 2024.
Le monologue est un dispositif que j’explore depuis longtemps : ma pièce « Et puis le roulis » est se présente comme trois grands monologues : un fils parle, en une fois, une grande fois, à sa mère qui ne lui répond pas mais qui parle à son tour à son mari, dans une grande tirade, son mari lui répond par un monologue et les deux, mari et femme, père et mère, regardent à la fin s’enfuir ou danser les vagues. Comme la parole après la parole, quand ne s’entend que le souffle.
Ma pièce « De la disparition des larmes » est aussi un monologue : une femme, une nuit, se met à parler, toute seule, tout haut. Elle « ouvre ce qui s’entrouvre », et fait cette expérience d’une fois, chez soi, se mettre à parler, sans tout savoir de ce qu’on va dire.
Dans ma pièce « Comme Ophélie », j’ai souhaité donner belle part aux monologues, comme lieu d’expansion et, parfois, de perte du personnage, comme si tout à coup ce trop-droit-à-dire, à se dire, menait les personnages vers leur combustion.
J’aimerais, avec ces « Cent monologues en même temps », explorer la scène comme cent tréteaux rapides, à monter et aussitôt démonter, une fiction qui commence à nous quitter en même temps qu’on l’érige, parce que le temps presse, et que, déjà, quelqu’un vient, quelqu’un d’autre va parler aussi.
Milene Tournier
Milene Tournier auteure
Production Le Vent des Signes Avec le soutien de DRAC Occitanie, Ville de Toulouse, Conseil départemental de la Haute-Garonne, Région Occitanie, Occitanie Livre & Lecture / Toulouse Métropole
Milène Tournier est née en 1988. Elle est docteure en Études théâtrales de l’université Sorbonne Nouvelle et écrit des œuvres de théâtre et de poésie. Sa thèse « Figures de l’impudeur, dire, écrire, jouer l’intime » s’intéresse à des artistes comme l’humoriste suisse Zouc, la rappeuse Diam’s, l’artiste de théâtre Angélica Liddell, l’auteure Emma Santos, Hervé Guibert, Guillaume Dustan…
Ses travaux s’ancrent dans un arpentage foisonnant du réel et de l’intime, à partir de matériaux visuels, sonores, textuels très contemporains.