1 > 31 AOÛT
Lattara (Montpellier)
Résidence écriture
Milène Tournier, Anne Lefèvre

Territoires d’Outre-Vie

Souvent, Anne connaît déjà. Elle ne me dit rien. Je sais un prénom. Un numéro, pour confirmer. La date, l’heure, le lieu. Qui ont été prévus par Anne en amont.

Je rencontre. Une heure, à peu près. Je sors mon téléphone portable et j’écris. Je retranscris. Je prends des notes. Nous nous quittons. J’écris, seule. Dans la foulée, pour être portée, parfois sur le lieu même, si j’y suis restée après que l’autre soit parti, parfois un peu plus loin. J’essaye de restituer une heure plutôt qu’une vie. Je dis je. Je dis : il, elle. Je mets beaucoup de guillemets. Je cite. Je dis « il a dit ». Je dis « j’ai pensé que ». Je parle des mains qui sont entre nous, sur la table, qui bougent avec les mots. Je dis les silences. Je dis quand parfois j’aurais voulu poser une question et je n’ai pas. Je dis quand – c’est toujours – je suis émue.

J’envoie à Anne. La plupart du temps sans d’abord m’être relue. Anne lit. Elle m’a rapporté récemment une phrase, la traduction d’une expression flamande, entendue une fois et qu’elle n’a jamais oubliée : avoir la responsabilité dans ses chaussures. Peut-être sais-je mieux dans ces Territoires d’Outre-vie que d’ordinaire, que l’écriture doit pouvoir être autant la va-nu-pieds que la fille responsable, que ses chaussures campent dans le sol et sont debout, et un axe est fixé. Avoir rencontré et écrire. Une responsabilité. Responsable des pudeurs autant que des échanges. Il se passe souvent peu de temps entre mon envoi et la lecture d’Anne et cette rapidité me rassure.

Le tête à tête a désormais comme témoin celle qui l’a permis et s’en est écartée pour qu’il ait lieu. La rapidité. Comme si dans ce projet qu’Anne a conçu et qu’elle porte auprès et avec nous, s’emmêlaient deux temps, celui long des liens et des confiances, et celui de l’urgence. Urgence à écrire. Urgence avant que. Avant que la vie. La vie, et tout ce que peut et fait la vie.
La prise de notes.
L’écriture.
La réécriture.

C’est maintenant un autre tête à tête. Entre Anne et moi. Anne lit. Repère. Annote. Suggère. Propose. Demande. Souvent sait bien mais demande quand même. Ensemble, on re-ponctue. On coupe. On dégraisse. On précise. On veut chérir.
C’est toute la partie que je ne sais pas faire seule. Toute l’écriture que je ne sais pas écrire. Anne extrait des fragments : ça pourrait être le titre ? Elle lit. Elle relit. On appelle ça : le peigne fin. Parfois il faut couper, parfois, au contraire, déployer, expliciter. Moi qui ai souvent du mal à expliciter, j’apprends. Et je vois que cela est bon. Ce qui était texte devient soigneuse déflagration.

Et puis on lit, à haute voix. Le deux revient, qui n’est plus celui d’une rencontre ou du travail à la table, mais du plateau et du dire. Anne recompose un texte dans les textes. Le montage apparaît, dans les échos, les réponses que les uns semblent donner aux autres, comme si les affinités s’élargissaient et que chacune des 67 personnes rencontrait les 66 autres. Les voix hautes reviennent, qui sont encore celles de la confidence. L’oreille, cette fois, est plus vaste.

Anne dit : tête main cœur.
Anne dit : ciel de phrases.
Anne dit : c’est une forêt d’humains qui appelle.
Je dis, je voudrais dire : merci.
Milène Tournier

L’Ire des Marges publiera une sélection de ces nombreux récits de rencontre, en Octobre 2025. Allez les poètes et les gens ! Allez le vivant à extirper de nos ombres !

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DISTRIBUTION

Milène Tournier auteure

Production Le Vent des Signes Avec le soutien de DRAC Occitanie  (Toulouse et Montpellier), La Chartreuse – Centre national des écritures du spectacle, Ville de Toulouse, Conseil départemental de la Haute-Garonne, Région Occitanie, Montpellier Métropole. En partenariat avec Voile latine de Sète et du Bassin de Thau, i-peicc (Montpellier)

Les Récits de rencontres de Milène Tournier. Sa faculté d’écoute qui appelle la parole de l’autre, la poétique de ses écrits tellement vivifiants, joyeux. Du monde s’écrit par cette poétesse en ses langues-vie qui desserrent nos regards, chérissent l’à jamais mystère de l’autre. Plus de 67 Récits de rencontre sont déjà achevés, si peut-on jamais achever le récit d’une rencontre. (Toulouse / Sète / Paris / Rennes / Montpellier / Castelnau de Montmiral / Figeac / Limoux / Lattes…)

BIOGRAPHIE

Milène Tournier est née en 1988. Elle est docteure en Études théâtrales de l’université Sorbonne Nouvelle et écrit des œuvres de théâtre et de poésie. Sa thèse « Figures de l’impudeur, dire, écrire, jouer l’intime » s’intéresse à des artistes comme l’humoriste suisse Zouc, la rappeuse Diam’s, l’artiste de théâtre Angélica Liddell, l’auteure Emma Santos, Hervé Guibert, Guillaume Dustan…
Ses travaux s’ancrent dans un arpentage foisonnant du réel et de l’intime, à partir de matériaux visuels, sonores, textuels très contemporains.

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CRÉDITS

Loran Chourrau