Le pass-sanitaire
POSITIONNEMENT
Anne Lefèvre

Une équipe de journalistes m'a demandé - comme elle l'a demandé à d’autres structures toulousaines - quel est mon positionnement concernant le pass sanitaire et sa future application ?

Impossible pour moi de répondre à l'emporte-pièce.

Impossible de répondre seulement en termes comptables : gestion du public, surcoût de personnel, etc...

Encore une fois, je me sens à côté du grand mouvement unificateur "fédérateur dans le contre", s'il en est un.

Cher M.............,

Pas facile de répondre à tes (vos) questions, en pareille circonstance où je suis engagée quasi jour et nuit dans un flux d’interventions continues.
Le festival de théâtre de Figeac en est à sa septième journée.
Je me pause auprès de toi enfin — le temps d’un partage.

En ces temps inquiets, fragilisés par l’angoisse d’un virus qui dure, à l’instar de mon ami Sébastien Bournac avec lequel je conversais récemment, j’ai tendance à penser qu’il vaudrait mieux nourrir les lecteurs et lectrices d’écritures qui questionnent la vie et la poussent plutôt que de nos angoisses d’artistes et directrices, directeurs de salle.

A cette heure, je n’ai pas eu encore le temps d’interroger le proche avenir avec mes équipiers et les membres de notre CA.

A cette heure, nous ne savons pas quelle sera la situation sanitaire en septembre.

A cette heure, à l’instar de l’ami cité plus haut, je ne souhaite pas que nous abaissions la jauge à 49.

A cette heure et en mon for intérieur, j’aurais tendance à penser que faire ce qui est en notre pouvoir (vaccins, gestes barrière) pour endiguer la pandémie ne témoigne en rien d’un état-dictateur ni d’une soumission à un dit état-dictateur.

A cette heure - comme à chaque heure - je pense que ma responsabilité outrepasse la seule gestion de mon seul cas personnel.

J’ai choisi consciemment de me faire vacciner.
- tant pour limiter la casse en moi que pour éviter de la propager chez mes voisins-voisines.

Dans une salle comme Le Vent des Signes qui jauge à moins de 100 personnes, s’il fallait appliquer le contrôle du pass-sanitaire pour que l’œuvre d’art puisse continuer à opérer son travail de vie en nous, je pense qu’en étant de bonne grâce et en acceptant d’adapter nos fonctionnements au mouvement de la vie, nous devrions pouvoir ensemble inventer quelques possibles, non dévastateurs d’humanité - bien au contraire - pour nous accueillir au mieux.

Le fameux pas de côté cher à nos professions artistiques.
A l’écoute du jour nouveau jamais expérimenté jusque-là.
Fragilité, étonnement, peur, découvertes... toutes choses qui fondent nos pratiques artistiques, notre poursuite et notre expérienciation du dépassant.

A cette heure, j’ai envie qu’on s’assoie au pied de l’arbre pour palabrer en perspectives d’oasis.

A cette heure, j’emprunte le chant suivant à mon ami romancier Charles Robinson : Alors qu’il semble bien que ça reparte… sur quel pied voulons-nous danser ? Quelles danses ? Avec qui ? Et pourquoi ?

Et aussi :
Dans le désert qui a gagné, bien avant la pandémie, il ne suffit pas que des formes entêtées et entières – les increvables – survivent. Si nous voulons survivre en tant qu’espèce menacée – amoureux des arts, de la beauté, de l’étrangeté et de l’intensité –, nous devons nous organiser en oasis.
Oasis, chaque assoiffé – et ils sont ô combien nombreux – aura terriblement besoin de nous.
Nous avons terriblement besoin de nous.