Rencontre avec Claudie Pradayrol
« Qui c’est cette Milène Fournier ? » a pesté Claudie, en ouvrant sur son comptoir d’accueil son cahier de rendez-vous. Je me suis avancée. C’est moi, je suis… vous savez, l’auteure. « Ha, oui ! Vous venez me parler ». J’ai pensé : vous, plutôt. Claudie tenait le café-hôtel Le Champollion depuis 44 ans. Et devant sa gouaille et son autorité, j’ai entendu, comme pour la première fois, ce verbe tenir. Une tenancière. Claudie était une tenancière.
Piquante, autoritaire, drôle, vive, si vive. Et classe. Claudie était classe. Gouailleuse et classe, en même temps. Je le lui ai dit. « Oui. Pour ça que je n’aime pas lorsqu’elles arrivent avec leurs tatouages, ou des affaires pas repassées ». Bien sûr c’était « un personnage », l’une de ces personnes mêmes dont s’exclamer « c’est un sacré personnage ». Mais je sentais bien, aussi, que je devais me retenir de la bader et de rire. Parfois nos rires enferment l’autre loin de sa délicatesse.
Elle était la doyenne des commerçants. « On se connaît tous. On se critique tous mais, aussi, on se respecte tous. C’est une tradition chez les cafetiers : quand tu finis, tu vas boire un pot chez un qui ferme encore plus tard que toi. D’abord parce que c’est le moment où, enfin, tu te fais servir. Et celui où on peut maudire les clients. Celui qui ne peut manger que des graines, celle qui a mille allergies. Mais on n’est pas des directeurs de conscience. Moi ceux qui votent FN, ou ceux qui sont pour la peine de mort ou contre l’avortement, je suis pas d’accord et je peux leur dire, mais je leur sers le café. »
« C’est l’humain qui me tient », elle a dit. "Moi-même, après presque cinquante ans de métier, chaque jour je suis surprise. C’est bizarre comment ça fonctionne l’être humain. C'est étrange »